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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 17:22

  Sami Frey est seul , assis sur un banc, à l'avant-scène, prisonnier d'un tout petit espace délimité par un rectangle blanc. Engoncé dans un imperméable boutonné jusqu'au cou, il porte en bandoulière une besace verte qui semble enfermer tout son bien et triture un chapeau mou informe comme pour se donner une contenance. Il parle, il nous parle de son premier amour, Lulu, qu'il préfère appeler Anne.


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   Il se souvient de cet amour qui le dérange, de l'amour en général qui le dérange parce qu'il n'avait ni l'idée ni l'envie de rencontrer l'amour.
   Il a été chassé de chez lui, de sa chambre, après la mort de son père, par les héritiers. Il s'accommode de sa solitude, trouve une sorte de bonheur tranquille dans "le rien", la vacuité de son existence de déclassé.
   Elle s'est imposée à lui en venant s'asseoir sur "son" banc, celui qu'il s'était choisi avec soin pour son emplacement et le confort qu'il lui offrait. Femme extrèmement tenace, elle revient. Il cherche à l'éloigner, à la repousser de son corps en s'étalant sur le banc et en posant ses jambes sur ses cuisses. Elle lui masse les chevilles , il est troublé.

   On n'est plus soi-même dans ces conditions, et c'est pénible de ne plus être soi-même, encore plus pénible que de l'être, quoi qu'on en dise.
  
   
Il ne lui reste plus qu'à fuir dans une étable où il aura la révélation  d'un sentiment qui s'arrogeait dans (s)on esprit glacé l'affreux nom d'amour. Il souffre et pour arrêter cette souffrance, il doit la rencontrer de nouveau. Il ira vivre chez elle, se sentira libre car plus obligé de penser à elle, puis la quittera quand il ne pourra pas supporter la présence de l'enfant qu'il a eu avec Lulu. Sa fuite est vaine: il continue à entendre les cris. La confidence se termine sur ce constat :

   Pendant des années, j'ai cru qu'ils allaient s'arrêter.Maintenant, je ne le crois plus. Il m'aurait fallu d'autres amours, peut-être, mais l'amour, ça ne se commande pas.
 
   Cette nouvelle, écrite en 1946 par Beckett, non publiée et remaniée à la suite de sa redécouverte par J. Lindon en 1969, aborde des thèmes inhabituels. Il expose la sentimentalité, l'humanité profonde d'un homme simple, profondément sincère, bousculé par l'amour. Il s'intéresse une fois de plus aux petites gens, avec un humour "détergent" qui fait contrepoint.
   La langue est drôle, terrible et délectable de simplicité et de précision. Langue qui semble de tous les jours, mais est incontestablement littéraire.
 
   Sami Frey ne lit pas le texte, ne le dit pas. Il l'interprète au sens théâtral du mot, il lui donne chair.
   Sami Frey que nous avons devant nous, sur cet espace exigu, c'est le JE de la nouvelle, incarné. Il est vraiment JE, il ne joue pas. Le texte sort de sa bouche sans effort, parfaitement naturel, ce qui crée une proximité affective avec le public. On est suspendu à cette voix sans éclat, qui  "joue" petit, intime, se confie.
    Dans cette interview, un passage de la pièce où éclate le talent de l'acteur à rendre l'humour  irresistible et particulier de Beckett narrant la première nuit de JE et de Lulu...

 

  Le texte de la nouvelle a été publié aux éditions de Minuit (55 pages).

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commentaires

S
<br /> <br /> ah la la Sami Frey, toujours aussi séduisant(pardon pour ce commentaire purement prosaïque!)<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Quel charme en effet! et sa voix...retient prisonnier(e)<br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> <br /> Je ne suis pas fan de Beckett. Je me souviens de nausées mémorables lors de la lecture de certaines de ses pièces, mais cette nouvelle, oui, j'ai bien envie de la découvrir. Comme quoi tes<br /> analyses nous poussent à dépasser nos "a priori".<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Beckett, c'est vrai , plante un univers très particulier. Il n'est pas toujours aisé d'y entrer...<br /> Cette nouvelle, à mon avis, est très captivante et pleine d'humour en dépit de ses teintes grises. Bonne lecture,  ma chère Gourmandise.<br /> <br /> <br /> <br />