Pour illustrer le thème proposé par Jillou à la barre de ce Défi 59, "Les grandes vacances de votre enfance", cette évocation d'un après-midi d'été de mes très tendres années:
A l'ombre des tilleuls en fleurs dont le parfum trop sucré, presque écoeurant, nous enivrait un peu, nous avons apporté , comme tous les après-midis, ce que nous avions choisi dans la malle aux jouets, parmi nos trésors. Avec le recul, bien peu de richesses: des poupées auxquelles il manquait des cheveux, des " baigneurs" en celluloïd aux bras un peu disloqués et délavés à force de bains énergiques, un ours pelé et borgne, des habits récupérés auprès d'une marraine tricoteuse et jeune maman, un couffin en plastique très convoité par chaque fille de la bande pour jouer au Papa et à la Maman. Nous étions cinq filles, à peu près du même âge, voisines dans la même rue du quartier. Je me souviens, personne ne voulait être le papa, ce n'était pas amusant et souvent, même si j'étais chez moi, même si c'était toujours chez moi le point de ralliement, comme j'étais la plus jeune et la plus frêle, c'était à moi de jouer le rôle!!! Je m'arrangeais pour que ça ne dure pas trop longtemps et je proposais d'autres jeux et à chaque fois, ça marchait. "Et si on jouait à la marchande?" ...
Alors on fouillait dans la malle du débarras et on en extirpait des boîtes et emballages, des porte-monnaies fabriqués avec des fonds de cartons de sucre Beghyn -Say et le fin du fin, des pièces percées datant du début du siècle, obsolètes évidemment et obtenues après maintes prières de mes parents. Nous nous lancions dans des transactions interminables. Je jouais "à l'épicière ", à la "bouchère" avec d'autant plus de facilités que le jardin de mon père contigu à l'espace de jeu qui nous était imparti, regorgeait de tomates, de légumes, de fruits. Respectueuses des consignes données, sagement, nous ne prenions pour les découper que les petits , les abîmés, les tombés, les verts ...sauf les fois où la tentation était trop forte et que nous mordions dans les fruits, les sucrés, les juteux. Les perches de soutien des branches servaient à les secouer et en faire tomber les délices convoités: comme cela nous étions en règle!...Ma mère n'en voyait jamais rien : ...mais, complice de nos inventions à notre insu, elle allait jusqu'à nous donner de quoi nous débarbouiller!
Il y avait tout un rituel, sous les tilleuls: comme le soleil "tournait", nous tournions avec lui autour de l'arbre, déménagions nos petites affaires pour rester à l'ombre jusqu'à l'heure du goûter où chacune repartait chez elle pour la tartine au chocolat ou à la confiture.
En deux temps trois mouvements, elles étaient de retour et cette fois, jusqu'à l'ultime appel" A table!" multiplié par cinq, nous nous installions sous le tilleul à l'ouest, celui aux larges feuilles. Alors, nous faisions consciencieusement des "araignées" en enlevant le vert entre les nervures des feuilles. Nous faisions des concours de la plus belle, nous jouions à qui rira la première en nous chatouillant avec nos créations fragiles...avant de nous enflammer pour des batailles de cartes ou des jeux des sept familles dont il manquait toujours une figure, égarée on ne savait où...
Les tilleuls nous offraient une ombre tutélaire, douce et accueillante.
Je les croyais énormes, ils ne l'étaient pas... Maintenant, ils le sont devenus, mais je n'y joue plus et ils ne sont plus ceux de chez moi...
C'était l'été, il y a si longtemps, un temps heureux où les jours n'avaient pas de fin et où mon royaume tenait sous l'ombre de mes arbres, dans une petite cour cailloutée et fleurie.
MdP. (11 juillet 2011)