Les Plaisirs
de
Mimi
Rosier"guitare", corbeilles d'argent et lys d'un jour (hémérocalles) en devenir.
Le seringa explose...
Les grandes tempêtes de ces dernières années ont ravagé dans la région forêts, parcs, et sur leur passage des arbres centenaires et majestueux ont été coupés comme fétus de paille.
Les grands chênes et les chataigniers qui faisaient l'orgueil de la contrée ont laissé comme seuls vestiges des troncs mutilés. Il a fallu nettoyer, scier les moignons, assainir les zones malades, dégager les espaces.
Désormais, mises à part les réserves de stères empilées dans les cours et jardins, les traces du sinistre ont presque toutes disparu. Mais les villageois de Bioussac ont décidé de garder pour les générations à venir la mémoire de cet événement. De l'arbre à l'art, ils ont franchi le pas.
Un arbre tronqué, entièrement érigé en pierres du pays par le sculpteur Darné rappelle au passant l'importance de l'arbre, apprend aux enfants l'histoire de la catastrophe et attire l'attention sur la fragilité de notre patrimoine naturel. Le voici dans sa stérilité minérale.
"J'ai descendu dans mon jardin
Pour y cueillir du romarin..." mais il a subi le grand gel de l'hiver et il est tout gris.
Des oeufs de Pâques, il n'y en avait guère non plus...
Alors j'ai pris la poudre d'escampette, histoire de régénérer un peu mes sensations endormies et de trouver d'autres cadeaux-surprise. Et voici que dans le pré j'ai découvert " d' humbles fleurs que je vous envoie...":
La pâquerette, fleur de cette fête, toute de blanc et rose troussée:
Des verveines bleues minuscules en tapis sous les pas:
Des pervenches prenant d'assaut les pierres du vieux mur
Des pissenlits tels des soleils de miel
...
Et aussi des milliers de cônes rutilants comme autant d'oeufs porte-bonheur suspendus au grand sapin!
Que sont devenus les pins majestueux dont le cortège ininterrompu accompagnait les longues traversées des Landes quand nous partions tous en vacances vers la ville où nous attendaient des êtres chers?
Nous aimions ces heures d'été où le soleil jouait avec les ombres des fûts , caressait les cimes toujours en mouvement dans le crépitement de l'air trop chaud. Des odeurs fortes, violentes, acides et sucrées à la fois de fougères, de résine, d'aiguilles sèches nous prenaient à la gorge: nous roulions fenêtres ouvertes pour nous gaver de cette nature âpre et sensuelle qui se donnait à nous et nous promettait tant de randonnées à surprises.
Jamais nous n'étions déçus: quelle que soit la saison, la forêt nous offrait ses cadeaux: l'automne avec le grenat des bruyères et les roux des sous-bois; l'hiver et ses givres étincelants sur les bois noirs; le printemps avec son pollen virevoltant dans la brise et le vert tendre à croquer de l'herbe ...Les immenses coupe-feux qui partaient vers d'infinis horizons sans cesse repoussés quadrillaient la forêt et donnaient de rassurants repères au sein de ces piliers reproduits par milliers. Comment dire aussi le charme de ces sentiers où l'on partait sans peur pour une récolte de pignes collantes que l'on offrirait en guise de baromètres au retour dans "le nord"?
Quand j'ai lu le livre de Kauffmann, La maison du retour, j'ai eu la nostalgie de cette pignada, de ces petits hameaux perdus, de cet airial, de tous ces délices d'antan et nous sommes allés là-bas, par la Haute -Lande, celle chère à Mauriac et au poète occitan Bernard Manciet, un peu comme l'on part en pélerinage...
Mais quand nous avons pénétré dans le territoire tant rêvé, nous n'avons vu que terres noires et dénudées, chavirées par les engins d'arrachage, des souches renversées tendant des moignons de racines vers un ciel couvert de nuages menaçants. Sur les bords, des montagnes de troncs sciés, attendant d'être convertis en aggloméré. Là où l'ancienne forêt subsiste , ce ne sont qu'arbres coupés à mi-hauteur, sinistres pieux, vestiges des deux terribles tempêtes de la dernière décennie. Rien ne pousse , si ce n'est la broussaille. Le sable réapparaît, sale, noirâtre et inquiétant. Il faut couper, déblayer, nettoyer pour replanter...Quelques hectares montrent des plantis avec des tiges qui tentent de redonner l'espoir de voir la forêt renaître mais ils sont minuscules et dérisoires au sein de ces déserts.
Le pire était à venir: les jeunes arbres , ceux qui avaient résisté aux vents déchaînés sont tous en train de mourir! Eux aussi sont noirs, ils sèchent sur pied, comme brûlés, les aiguilles sont tombées. Jamais plus ils ne connaîtront le printemps et la montée de sève: ils sont rongés par une maladie cryptogamique que les sylviculteurs ne peuvent enrayer, conséquence des milliers d'arbres abattus par les éléments et devenus les refuges de micro-organismes ravageurs. Cette vision est insupportable pour qui aime la forêt car ici aussi il faut abattre, débiter vite sous peine de tout voir contaminé.
Nous avions la sensation d'être plongés dans un film -catastrophe de fin du monde, d'autant plus qu'aucun humain, aucun animal, aucune végétation ne rompaient ce triste défilement de terres nues et d'arbres à l'agonie. Seules les rares voitures croisées filaient comme pour fuir ce sinistre lieu.
Au retour, nous avons pris un autre itinéraire, plus à l'est, mais nous avons trouvé le même désastre...
Rêves brisés, voyage au coeur de la stérilité ...
Jamais je n'avais senti aussi intensément la présence de la mort qu'à travers cette lande désertée par ses pins.
ELLE ETAIT SI BELLE!......
Du Japon, aujourd'hui, je n'ai retenu que les fleurs, celles de son pommier écarlate, promesses d'heures meilleures.
La température douce m'avait permis d'aller à la campagne, de me reposer à l'ombre du grand arbuste, tout bruissant de myriades d'insectes, ivres de butiner le suc des corolles offertes au soleil et j'ai eu le plus beau des dais tendu au-dessus de moi.
La quiétude du moment, l'enchantement des couleurs sur le fond délicat et ouaté du ciel et le pépiement des passereaux dans les arbres et les lierres ont effacé la tension et m'ont donné un bonheur particulier, l'impression de vivre un "rêve étrange et pénétrant", que je referai souvent dans les moments moins lumineux.
J'ai pu fixer un instant de cet instant particulier, où tout semblait en harmonie, où la terre et le ciel se rejoignaient dans mes yeux. Il est ici:
L'article du journaliste Jean-Claude Guillebaud paru la semaine dernière dans Sud-Ouest- dimanche 6 mars a pour titre " Un renard dans les phares" et narre une rencontre nocturne avec les animaux de la forêt de la Braconne en Charente. Mais n'est pas que cela...
Je destinais le journal au sac de recyclage lorsque j'ai été amenée à le parcourirlaujourd'hui, intriguée par un titre aussi insolite dans une actualité aussi chargée. Le séisme du Japon et les catastrophes associées ne s'étaient pas encore produits mais la Lybie était déjà à feu et à sang.
Pour ma part, je me trouvais alors dans un état de morosité et d'inquiétude qui m'empêchait d'écrire, de lire, de bloguer même... Aussitôt j'ai accroché à la première phrase:Il faut parfois rompre avec l'habitude, changer de regard, poser son sac. J'en ressentais tellement le besoin que je l'ai suivi dans son aventure.
Oh, rien de très extraordinaire que cette aventure: deux chevreuils qui s'éloignent sans hâte, dérangés par les phares puis un renard qui quitte la lisière du bois...Un provincial en est coûtumier! Et pourtant cette apparition déclanche un sursaut de conscience, un" vrai bonheur",écrit-il, à fuir les spéculations et à retrouver le concret des choses et du printemps. Il descend de voiture dans la nuit: L'air était vif mais sentait l'herbe mouillée, le bourgeonnement, la sève au travail dans les palisses, de quoi remettre d'aplomb tout un monde intérieur.
Et puis il laisse libre cours à ses pensées fécondes, philosophie accessible et sensible: si nous sommes émus par le passage de ces animaux sauvages, tout comme par les putois, les blaireaux, les sangliers, c'est parce que furtifs, ils incarnent une liberté dont nous avons perdu l'usage .et oublié la saveur.(...)Ils vivent véritablement ailleurs. Ils tiennent tête , en somme, à tous les bétonnages(..)au monde"civilisé". Ils nous rappellent qu'il existe encore des interstices intouchés et nous relient secrètement à ce que j'appelle"la vie vivante" .
Pour Guillebaud, cette vie s'oppose à notre univers organisé,évalué, etc...et donc de ce fait irréel. "La vie vivante" c'est ce qui échappe aux chiffres, à l'hégémonie de l'immatériel.
Pour tout dire, les phrases qui m'ont le plus touchée et sortie des vaines spéculations sont celles-ci que je reproduis ici pour m'en souvenir et vous les faire partager:
Il est encore plus important de prêter attention à cette vie têtue qui perdure, jour après jour , dans nos campagnes. Elle nous préserve de la frivolité sans chair. Elle nous arrache à ce que Platon appelle "le ciel des idées" pour nous ramener vers le sol, c'est-à-dire dans la vraie vie.
Le parfum du printemps et "le renard dans les phares" un soir en Charente, simplement la vie retrouvée et victorieuse.
Instant magique vécu, juste avant que le ciel ne s'embrase à la pointe de Chassiron, à quelques 4800 kilomètres de New-York, 548 kilomètres de Paris, 110 kilomètres de chez moi
Ce dimanche d'hiver au bord de l'océan, il aura suffi de craquer une allumette au fond de l'horizon...
9.01.2011 à 17h38
Et je me suis souvenue de ces vers:
... Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A des grands soleils
Couchants sur les grèves. (Verlaine)
Voici en ce jour un peu trop gris ce cadeau du jardin: une palette de couleurs et la promesse de parfums sucrés pour qui sait imaginer ce petit bonheur des fleurs...
C'est le devant de ma maison : de quoi faire sourire les renfrognés ou les tristounets et enchanter les marmousets!...
Insolite rencontre que celle de la clandestine au coin d'un bois de feuillus. Elle était cachée dans un creux un peu humide et les talus herbus lui faisaient un écrin précieux. Elle déployait sa robe améthyste en corolle comme une coupe offerte . Elle attendait l'abeille ou le coup de vent qui disséminerait son pollen et assurerait ainsi sa reproduction. Ensuite elle n'aurait plus qu'à disparaître dans les entrailles de la terre dont elle venait de surgir après dix années d'attente. Patiemment, elle s'est nourrie de la sève des arbres,celle des aulnes ou des chênes sessiles, elle s'est abreuvée aux eaux souterraines et lorsqu'elle a été prête, elle a éclos au printemps, au moment où les arbres ont fourni leurs gros efforts de montée de sève. Elle est là, la clandestine, tout le temps d'une décennie, sans que l'on puisse déceler sa présence, sauf pour le connaisseur à l'oeil exercé qui remarquera le renflement de son réseau de racines au pied d'un arbre. J'ai eu la chance d'en voir une petite colonie fleurie, mais la plupart avaient déjà terminé leur mission et montraient des pétales flétris, recroquevillés. Tant d'efforts pour si peu de lumière!!! Métaphore de l'existence de tous les organismes vivants, humains compris?
J'ai médité sur le destin de cette fleur condamnée à vivre cachée pour survivre, ne comptant que sur l'aide occulte de ses hôtes que, contrairement au gui par exemple, elle n'épuise pas du tout, tant sa nourriture est chiche. En bout de vie, en remerciement, elle offre son seul trésor: sa beauté. Je me sens privilégiée d'avoir pu la saisir dans un rayon de soleil lors de cette randonnée dans les sous-bois de mon coin de campagne chérie, cette superbe Lathraea clandestina, son vrai nom de princesse de l'ombre.