Laura Alcoba , née en Argentine en 1968 évoque dans ce court récit un épisode majeur de son enfance. Il lui semble maintenant "pressant de raconter(..) cette folie argentine et toutes ces personnes emportées par la violence", les morts et les survivants. En 2007, elle écrit l'épisode de 1975 et confie dans l'avant-propos de MANEGES:
"Si je fais aujourd'hui ce travail de mémoire pour parler de l'Argentine des Montoneros, de la dictature et de la terreur à hauteur d'enfant, ce n'est pas tant pour me souvenir que pour voir, après, si j'arrive à oublier un peu"
Alors qu'elle avait sept ans, son existence de petite fille vivant au centre ville de La Plata, en appartement, près de ses grands-parents est bouleversée: le père a été arrêté et fait prisonnier politique. II lui faut tout abandonner pour s'installer avec sa mère dans un quartier aux abords de terrains vagues. Désormais, il faut vivre dans la clandestinité, se protéger sous une autre identité, se faire baptiser, se taire surtout: car les hommes des commandos de L'AAA, la Alianza Anticomunista Argentina recherchent les militants comme ses parents et les amis qui les hébergent pour les torturer avant de les tuer ou les faire disparaître. La maison cache dans l'"embute", sorte de cagibi aveugle, conçu par un ingénieur partisan, l'imprimerie clandestine des opposants au régime et des armes au cas où...C'est le QG de la rebellion.
Je ne veux pas résumer le quotidien de l'enfant, ses bévues, ses petites joies ni ses grandes souffrances . Il faut lire ce récit pudique et authentique d'un traumatisme qui s'exprime dans l'écriture sobre où l'ingénuité de l'enfant se transforme en conscience aiguë de la gravité de ce qu'elle vit.
La force bouleversante du témoignage provient de la vérité "historique" révélée mais surtout de sa transformation en récit littéraire: Laura Alcoba restitue la manière de parler, de réagir, de penser de l'enfant qui accède durement à l'âge de raison au milieu d'adultes qui l'oublient un peu mais la protègent.
Un court exemple de cette langue. L'enfant vient d'entendre parler d'une militante torturée:
"Je n'ai fait qu'imaginer.
J'ai pensé à des choses qui font très, très mal, avec de grands clous rouillés ou plein de petits couteaux, à l'intérieur, tout au fond. Et elle, qui n'avait pas desserré les dents. Puis je me suis dit, de moi à moi, qu'être une femme forte, c'était ça."
Laura Alcoba écrit en français et elle est invitée aux "Littératures Métisses 2011" d'Angoulême en liaison avec le Festival "Musiques Métisses" qui se déroulera pendant le long week-end de ¨Pentecôte sur l'ïle de Bourgines. Il me tarde de la rencontrer.
Gallimard 2007 pour la première édition
Gallimard octobre 2010 pour cette édition: ISBN 978-207-078203-1 -(143pages)