J'ai choisi de lire ce roman de Frédérique Deguelt parce que j'avais beaucoup aimé son précédent, "La grand-mère de Jade" et que ma libraire préférée l'avait placé dans les coups de coeur.
Quant à l'intrigue, le titre à lui seul semblait en dessiner la trame: une jeune nonne tombe amoureuse d'un homme mécréant, grossier et sensuel ce qui l'amène à renoncer à son fiancé éternel mais idéal pour découvrir les impératifs du corps et les sentiments passionnés.
Le livre, effectivement, raconte à peu près cela, sauf que l'histoire est double, qu'il n'y a pas une héroïne mais deux, la toute jeune soeur Madeleine, alias Louise et Lysange, une femme mariée à John discret et attentif, mère de deux grands enfants mais qui multiplie les liaisons sans lendemains jusqu'à sa rencontre fulgurante avec Pierre.
Leurs itinéraires sentimentaux évoluent en parallèle, avec quarante ans d'écart par le biais d'un cahier où la jeune nonne a consigné les événements, les troubles et les secrets de son voyage de missionnaire au Brésil sous la haute protection d'Angel. Dans ce récit sans concession ni mensonge, à la première personne, Lysange voit un écho à ses propres tourments et le lecteur est amené à découvrir la force ravageuse de la passion avec, au final , un dénouement que l'on pressentait.
Donc, en fait, rien de très original dans l'inspiration romanesque... ni dans l'écriture chorale, à la mode actuellement.
Il faudrait réussir à se laisser emporter par le flot de paroles de Lysange qui décline à l'infini les facettes de son amour dans des pages intimes écrites en "je" et par des pages où un narrateur omniscient analyse la situation, mais pour ma part, j'avoue avoir été parfois agacée par cette litanie et j'ai sauté des passages...
Pourquoi choisir ce roman? Pour faire comme Lysange, lire le cahier à couverture de cuir(..)dont les pages étaient couvertes d'une petite écriture ronde, presque enfantine.
En réalité, j'ai dévoré le journal de la nonne avec la tentation d'aller directement aux chapitres la concernant, elle, la petite soeur tiraillée entre ses voeux et l'éveil de ce qu'elle ne sait pas encore nommer ou se refuse à reconnaître...Et puis, j'ai été entraînée sur ses pas dans son extraordinaire voyage qui la conduit de son monastère de Gramat au coeur de la jungle équatoriale . La découverte de l'océan, de cette " Terra incognita" où la beauté exubérante et intacte cache le danger:
Les premiers temps , la forêt m'a arraché des cris d'admiration. Je voyais là une cathédrale végétale de lianes exubérantes.(..) Angel haussait les épaules. Marcher dans ces ramifications de troncs et de branches vous expose à vous enliser dans un marécage invisible. Quant aux papillons grands comme une main,que vous avez tantôt trouvé charmants, ils se nichent toujours dans ces endroits où vivent des millions de moustiques minuscules suceurs de sang, qui viennent en grappes familiales tester la douceur de votre peau au coucher du soleil.
La réalité misérable et l'exploitation éhontée, les seringueiros , la corruption ou les massacres des "civilisés" envers les populations indigènes, les périls naturels donnent des pages très réussies, saisissantes même... L'humanité s'y dévoile sans tricherie, terrifiante ou sublime selon les moments et la loi du corps règne sans partage. En corollaire, une réflexion inévitable sur la Création, la présence et les desseins de Dieu...
En comparaison, j'ai trouvé un peu pâle, ce qui se passe à Paris avec Pierre l'insaisissable ou au Cap-Ferret même si le personnage de Thomas, septuagénaire, est attachant comme passeur de destinées.
Au bout de ma lecture, je ne savais pas trop comment définir mon sentiment . En fait, je crois que 400 pages, c'est trop et que cela dilue la force des conflits intérieurs, nuit à la beauté des pages brésiliennes et gomme un peu la réflexion sur les problèmes de foi, d'engagement et de sincérité avec soi-même.
Malgré ces réticences, le livre de Frédérique Deguelt permet de pénétrer dans l'intime , d'écouter le langage du corps et du coeur en conflit avec les lois morales ou sociales que l'on s'impose à soi-même. Il dit et écrit la passion.
Dans cet équilibre fragile qui rappelle étrangement celui d'un funambule, je ne me reconnais plus. Les convictions vacillent. L'ivresse et la fureur de donner me transpercent tout autant que la douceur de ce don. Toutes mes certitudes s'effilochent. Dépossédée, sauvage, exclue de mes propres pensées, je laisse l'ivrese me chanter sa parole. Marché de dupes comme une ultime tentative de compréhension là où il n'y a rien à comprendre. Les tourments du coeur sont indomptables. Un jour sans toi s'étire comme s'il ne devait jamais finir. Et si nous n'avons pas de rendez-vous qui remplissent les heures à venir du bonheur de te revoir, je tremble, j'imagine le pire et la fin de cet amour qui m'a prise à la gorge comme un assassin.
Le livre a été édité à ACTES SUD, collection "un endroit où aller" en janvier 2011
ISBN 978-2-7427-9471-3