Pour ce jeudi dont le thème "Légendes sur terre" est proposé par Hauteclaire, voici ONDINE, extrait III-9 du recueil de poèmes en prose D'Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit (publication posthume:1842)
Aloysius Bertrand (1807-1842) est un des tous premiers poètes à avoir choisi le poème en prose (transposition des formes fixes en vers). Son recueil GASPARD DE LA NUIT dont le sous-titre est "Fantaisies à la manière de Rembrandt et Callot " est quelque peu "fantastique". Mystère, humour, musique, sorcellerie, art et histoire se mettent au service d'une prose particulière, créant un genre nouveau fort admiré de Victor Hugo, de Baudelaire et des poètes surréalistes du siècle suivant.
ONDINE
"... Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil,
Et près de moi s'épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d'une voix triste et tendre."
Ch. Brugnot. Les deux génies
I. _"Ecoute!_Ecoute!_ C'est moi, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
II. "Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.
III. "Ecoute!_ Ecoute!_ Mon père bat l'eau coassante d'une branche d'aulne verte, et mes soeurs caressent de leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne!"
IV. Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.
V. Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
( Les ondins et les ondines sont des génies des eaux dans les légendes germaniques, génies malfaisants qui ensorcellent les passants)