Un bref album de 34 pages aux doux dessins sépia sur lesquels on s'arrête longuement comme pour se pénétrer de leur intimité avant même de lire l'histoire, car c'est bien d'une plongée dans l'intime qu'il s'agit.
Le décor extérieur: en couverture1 et 4, un immeuble-bloc, du béton, des lignes dures, à angles droits, des fenêtres closes, quelques-unes encore éclairées. C'est la nuit.
On ouvre l'album et c'est l'intrusion dans l'intimité chaude d'une salle d'eau où une jeune fille fait sa toilette. Quelques cases plus loin, une vieille dame endormie rêve de champignons magiques comme dans les contes de son enfance, puis un appartement vide où les morts continuent à préparer inlassablement le thé et à sagement dessiner et ainsi de suite. Nous découvrons un monde étrange et pourtant très familier, empli de monotonie quotidienne, d'espoirs et de fuites dans le rêve ou les paradis artificiels. Comment supporter la vieillesse, la solitude, l'anonymat, le deuil, le désamour et la jalousie, sinon en se projetant dans l'amour (illusoire?) de l'Autre, des plantes, du souvenir, des rêves et des fantasmes?
Nous entrons sans ordre apparent, avec fantaisie, dans les secrets des appartements. La dernière planche nous en fera sortir, à la recherche de la vieille dame immobile dans le froid de l'hiver et contemplant la neige, dernier cadeau de beauté pure.
Notre guide, dans cette aventure intérieure, au sens propre comme au figuré, c'est un lapin blanc: pas celui d'Alice, toujours pressé et inattentif! Non, au contraire, il est serein, discret, invisible pour ceux qu'il visite. Animal à la fois élancé et tout en rondeur, sa présence rassure et allège. Le lecteur voit par son regard et les aspérités disparaissent: le trait est précis et les figures du cercle ou de l'ovale dominent: rondeur des visages, des objets, des corps. Les lignes brisées suggèrent alors à elles seules la souffrance ou le désarroi.
La venue du super- lapin ne paraît rien changer à l'existence des habitants de l'immeuble : il ne fait que passer, traverser les murs comme un ectoplasme sympathique. En réalité, il est au service d'une entité informe mais bienveillante, tapie dans l'ombre: " Le Grand Sombre" lit dans les rêves et connait tous les secrets des vivants. "Il a endossé cette responsabilité, la garde dans son ventre, comme une pierre précieuse" car "les maisons sont des organismes, il faut les garder en vie grâce à l'énergie de ceux qui les habitent".
Cet album séduit par la qualité du graphisme, par la discrétion du texte qui incite à méditer sur la vie, tout simplement. L'anonymat des personnages que nous croisons fugitivement mais assez pour en percevoir l'individualité, nous ramène à nous-mêmes. Enfin, l'aspect onirique et merveilleux aide à franchir les barrières de la matérialité et apporte de la poésie à la banalité du quotidien.
La série des" interiorae" s'est poursuivie depuis 2005, date de parution de cet album. n° 1 .Je crois que je vais en continuer l'exploration...
Editions Coconino press- Vertige graphic.2005 , collection Ignatz- Traduit de l'italien.
ISBN2-84999-004-3