Ce volume édité chez Zulma réunit huit nouvelles déjà publiées dans d'autres volumes durant la dernière décennie. Elles ont la particularité d'avoir toutes été écrites par des femmes coréennes mettant en lumière des destins de femmes coréennes contemporaines . D'écriture naturaliste, ces nouvelles sont percutantes.
Le couteau de ma mère: Kim AE-RAN
Coktail Sugar: GO EUN-JU
La philosophie de son boudoir :JEON GYONG6NIN
La beauté me dédaigne : EUN HEE-KYUNG
Premières neiges : OH JUNG-HI
Les chiens au soleil couchant : HAN GANG
Doublage : PARK CHAN SOON
Trois jours en automne : PAK WANSO
Je ne suis pas sortie indemne de la lecture de ces courts récits puissants, chaque expérience étant lourde d'émotion, dévoilant souffrances, illusions et désillusions dans la relation à l'autre.
L'Autre, il peut être la mère, le père, l'amant, le mari, le voisin ou l'inconnu de la rue mais les femmes ou les petites filles de ces nouvelles ne l'atteignent que rarement dans une relation de tendresse ou d'écoute ou même simplement dans une relation neutre, apaisée.
La plupart des nouvelles mettent en scène la femme confrontée aux hommes, à leur violence. Au mieux, à leur indifférence ou à leur absence. Le plus souvent trompeur, brutal, violeur, ivrogne, sexiste, méprisant et orgueilleux!
Que de détresse, de solitude!
Le pire c'est que cette situation affective archaïque a pour cadre un environnement moderne, aux exigences matérielles écrasantes.
La lourde histoire de la Corée du XXème siècle défile en toile de fond avec ses blessures et ses bouleversements lourds de conséquences sur les mentalités et l'économie.
S'y trouvent retracés des épisodes de la vie quotidienne de femmes coréennes, de tout âge, de tout milieu. On les voit vivre dans des "salons où l'on cause", des bars, des hôpitaux, des chambres miteuses, des appartements-prisons, dans la rue et les quartiers mal famés...Un tableau de la société se façonne peu à peu à la manière d'un puzzle.
Avec comme point commun l'omniprésence du corps et de la chair, maints sujets sont présents: l'amour, la haine, la soumission, la révolte, le diktat des traditions en pleine collusion avec celui de la modernité, l'importance de la nourriture, l'enfance, la mort, la maladie, l'avortement, la misére morale et sociale, les pratiques religieuses mêlées, l'ennui, la relation conjugale, l'épineuse question de l'honneur , la peur, l'espoir...
En réponse à tout cela: l'adultère, le soupçon, le mensonge, la brutalité, l'alcoolisme systématique, la folie, l'abrutissement au travail et l'obsession du sexe dans une recherche fallacieuse du bonheur...
Une fresque très crue et noire mais magistrale.
Une page pour finir, un peu moins sombre, un instant rare dans ce livre: la dernière page de La philosophie dans son boudoir.
Hyuni à l'écoute d'une chanson à la radio se laisse aller au sentiment d'une perte chaotique et lointaine comme des larmes venues s'écouler d'une vie antérieure...Je vis mais combien de choses ai-je perdues dans cette vie? Elle se pose à elle-même la question:
-Quel est votre souvenir préféré concernant votre famille?(..)
Elle se souvient d'une fois où ils avaient loué un petit bateau sur un lac. (..)Ils avaient tout laissé sur la terre ferme. Comme ils dépendaient du poids des uns et des autrespour rester en équilibre, elle n'avait absolument aucune crainte que son mari se jetât sur elle pour la gifler, ou se mît à hurler, ou lui demandât quelque chose d'inattendu. Tout en glissant au fil du courant, portés de- ci de-là, quand, après avoir flotté sans but ni conscience, ils parurent s'ennuyer, ils ramèrent et firent le tour d'une petite île couverte de roseaux.(..)Le soleil et le vent tachetaient leurs visages, et alors qu'elle levait la tête vers le soleil, son mari, avait levé sa main et l'avait placée sur la tête de Hyuni. Il avait alors retiré de ses cheveux une feuille d'arbre morte recouverte de toile d'araignée.(..)
Ces courts instants où on semble avoir sacrifié toute sa vie juste pour ça...Mais, comme la mer qui se retire, quand un court instant s'effacent les choses dela vie, et que l'essence lointaine et éphémère sollicite l'existence, qui pourrait résister? Nous ne vivons que pour ces petites choses de rien du tout, c'est ce qu'il faut, c'est ça la vie, c'est tout ce que nous pouvons désirer... ( p124 à 126)
Editions Zulma: novembre 2011 (383 pages) Nouvelles traduites du coréen sous la direction de Choi Mikyung et Jean- Noël Jullet.
ISBN: 978-84304-569-1
Ce livre pour le challenge Dragon 2012 lancé par Catherine ( de laculturesepartage.over-blog.com)