Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de lesplaisirsdemimi.over-blog.com
  • : Plaisirs de la vie, de l'esprit, moments forts ou joies simples qui donnent du prix à l'instant ou qui se gravent dans le temps.
  • Contact

Recherche

Archives

20 mai 2010 4 20 /05 /mai /2010 15:10

9782707320971.jpgRosie Carpe de Marie Ndiaye, paru en 2001aux éditions de Minuit et couronné la même année du prix Fémina, est un livre dérangeant, bouleversant qui laisse une forte empreinte. J'ai parfois été tentée de l'abandonner, tant les personnages semblaient écrasés par une vie sans espoir, sans couleur, guettés par la folie. J'ai presque craint la contagion tant ils sont terriblement humains dans leur fragilité et inhumains  dans leur insensibilité. Des êtres à la dérive dans un contexte qui les ignore, les repousse, les raille ou les exploite. Incapables de voir la main tendue ou les sentiments sincères, ils s'enfoncent dans l'égoïsme, l'inconscience, le crime. Les personnages ont des corps informes, ou trop enflés ou trop maigres, des visages insignifiants, laids ou lisses. L'enfant de Rosie, bâtard presque sans nom, affublé d'un ridicule nom d'oiseau,Titi, est l'innocente victime du mal amour: corps diaphane, enfant- vieillard sans enfance, vivant dans la terreur et l'abrutissement . Souvent abandonné dans un coin, incapable de se nourrir autrement que de fruits, constamment deshydraté, il ne doit sa survie qu'à des sauvetages" in extremis" liés au hasard ou à la compassion.
 Ce livre est une histoire familiale (?), mais quand débute l'histoire de Rosie Carpe, attendant vainement son frère à l'aéroport de la Guadeloupe où elle vient le rejoindre, traînant dans son ombre le transparent Titi, son fils, il n'y a plus vraiment de famille si ce n'est à l'état civil.
 Pourtant, tout aurait pu se dérouler sans histoire, sans drame, normalement et médiocrement dans cette petite ville de province, Brive, dans le pavillon au magnolia entre une mère infirmière et un père militaire de carrière: Rose-marie et Lazare son frère ont une enfance terne et banale, encadrés par des parents soucieux de leur avenir. Ils partent à Paris pour des études qu'ils rateront, faute de travail pour le garçon, faute de moyens pour la fille. Laissés à eux-mêmes par leurs parents déçus, Lazare tourne mal, vit d'expédients et finit par partir en Guadeloupe faire fortune. Rose-Marie devient hôtesse à tout faire dans un hôtel miteux, se laisse prendre par le minable sous -gérant qui arrondit ses fins de mois en faisant filmer ses ébats érotiques avec elle, lui fait un enfant sous l'oeil des caméras puis après quelques promesses et attendrissements l'abandonne peu à peu à sa détresse. En fait, il n'y a plus de Rose-Marie: il n'y a plus que Rosie, incapable d'aimer son enfant, petit étranger parasite. Elle ne peut même plus le nourrir de son lait subitement tari par la douleur de la disparition de son frère Lazare à l'autre bout du monde. Relation incestueuse, incoercible et obsessionnelle pour Rosie: la paix intérieure ne reviendra que si Lazare est retrouvé, qu'il accepte l'enfant, subvienne à leurs besoins, lui qu'elle croit sur parole quand il lui écrit sa vie aisée et sa carrière florissante.
 Elle part donc pour l'île paradisiaque et ne trouve qu'un Noir, ami- collègue de Lazare, qui les prend en charge. Lagrand, c'est son nom, est un peu taiseux, impressionne Rosie et l'enfant par sa force et sa taille d'athlète, la propreté méticuleuse de ses vêtements  et la précision  de sa parole et de ses gestes. Ce géant devient le bon génie des esseulés et grâce à lui Rosie côtoie la maîtresse-enfant de son frère et la petite Jade leur fille, aussi vigoureuse et brune que Titi est faible et exangue, intègre un semblant de famille d'adoption. La vie pourrait reprendre le dessus mais la mort rôde partout: dans les marécages, avec le sinistre mugissement des vaches assoiffées ou affamées, dans la jungle tropicale toute proche et avec le retour de Lazare, clochardisé, couvert de sang de bêtes et assassin sans en avoir eu la claire conscience d'un riche touriste blanc piégé par son complice Abel.
 Pour se distraire, on pique -nique au milieu des rats qui grouillent ou qui pissent sur les mangues que Titi sucera pour se nourrir puis on va au cinéma en bus voir Astérix et Obélix, pour rire et oublier le malheur. Titi restera au soleil, brûlant de fièvre: trop triste pour le faire suivre. Et s'il mourrait pendant  qu'ils sont au cinéma? Bon débarras pour Rosie... C'est qu'elle porte un autre enfant, arrivé elle ne sait comment, miraculeusement pour son esprit dérangé... et celui-ci, elle le sent vivant, pas comme l'autre, cet enfant mortifère que même les "bons" n'arrivent pas vraiment à aimer. C'est une suite de désastres , de catastrophes, d'horreurs dans l'accoutumance à cette misère matérielle et morale. Humanité souffrante mais inconsciente, comme dédoublée d'elle-même: la folie rôde partout. Dans le présent, dans le passé des êtres, dans leur futur.
 Contrepoint grotesque et glaçant à cette lente descente en enfer, le couple des parents Carpe ressurgit, enrichi par des placements boursiers: la mère enceinte de son jeune amant, porte triomphalement un ventre proéminent avec une jeunesse retrouvée; le père Carpe satisfait sa libido en caressant la fille moitié idiote de l'amant de sa femme.
 Insolite, incompréhensible et véritable est l'amour secret de Lagrand pour Rosie la folle, double assez clair de sa propre mère, l'abandonnant  en partant sur la route sur un coup de folie après l'avoir passionnément aimé. Lui aussi est une sorte de victime expiatoire: on dirait qu'il paie pour les autres, crucifié par sa charité et son amour d'autrui. Il sauvera Titi, jouant le rôle du père et de l'oncle, à défaut de pouvoir sauver  Rosie par son amour.
 Un livre dur,dense, bien écrit en une langue réaliste, puissante et subtile qui intensifie sans les forcer les effets ravageurs de cette plongée éprouvante dans l'intimité et la dérive mentale de Rosie, la mal aimée. On peut penser au climat des romans américains du début du XXème siècle, à Faulkner pour cette fatalité qui s'inscrit dans la déchéance humaine et pour le refus de l'introspection.

 Il m'a fallu un temps de recul pour parler de ce livre sans trop d'émotion: 340 pages d'une telle intensité laissent des traces.

 Roman publié en 2001 aux éditions de Minuit.

Partager cet article
Repost0

commentaires

G
<br /> <br /> Effectivement, c'est un livre fort et poignant, sans doute cathartique des peurs humaines, mais je me sens incapable de lire un livre d'une telle noirceur, en dehors du persdonnage de Lagrand.<br /> J'aspire pour le moment à des lectures plus "paisibles".<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> <br /> celui là aussi m'interesse!! pas que du facile que tu nous proposes là!! mais tu as l'art de raconter...<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre