Roman bref, mais percutant sur l'enfance sacrifiée.et la désagrégation d'une famille. L'histoire de Nico est racontée par sa soeur ainée, Laura, qui lui porte une affection indéfectible. Il semble qu'elle cherche à retrouver l'enfant d'avant le drame, à comprendre comment il en est arrivé là, à être étranger à lui-même et aux autres.Nico n'est plus... La narration part de l'enfance au sein d'une famille de classe moyenne, apparemment sans soucis matériels: le père est cadre commercial, hâbleur et robuste, la mère est médecin, généreuse et dévouée à ses patients deshérités.
Le problème vient d'un désamour généralisé au coeur de la cellule familiale: le père passe en brutalités et en brimades sur son fils cadet, Nico, ses frustrations. L'enfant le déçoit par sa médiocrité à l'école, sa maigreur et sa faiblesse physique et au moindre prétexte, l'envoie pendant des heures au piquet, les mains derrière la tête ou le frappe sauvagement, à la tête de préférence. Face à cela l'enfant , "un mètre-vingt, excédé par cette volonté d'humiliation répétée, s'impos(e) une conduite héroïque, un traitement de choc"et même si le père s'absente, il reste à "purger sa peine" jusqu'au retour du bourreau ou il s'enfuit de la maison. La mère, épuisée et la fille terrorrisée ne sont d'aucun secours et l'enfant s'endurcit, vit comme un coupable perpétuel. Quand le père quitte la maison, divorce, c'est encore pire: Nico" se décrète fils et père à la fois", cherche à dompter son corps, le martyrise pour le rendre dur, athlétique, conforme à l'idéal paternel. Il s'astreint à lui écrire au nom de la famille, recevant ses lettres réexpédiées et corrigées avec mépris au stylo rouge...L'humiliation s'intensifie, se fait plus insidieuse et l'enfant désavoué, repoussé dans ses tentatives d'approche, bientôt ne communique presque plus, se coupe de toute forme d'affection. L'adolescent fugue, se révolte contre toute forme de sensibilité et de tendresse maternelle ou fraternelle, devient brutal avec les filles, cultive la haine de l'autre, est fasciné par le feu, les idées extrémistes.
Autour de lui, tout s'écroule et la campagne des vacances seul avec sa soeur, Pépé et Mémé, n'est plus possible non plus. Il est face au mur: il s'y cogne sauvagement , se détruit...Personne ne pourra le protéger. Le roman est soutenu par une langue très maîtrisée, sans épanchement, qui dit la tendresse (car il y a malgré tout de rares moments lumineux ) de la même façon que la souffrance et la peur. Effectivement, on voudrait comprendre comme Laura la narratrice, épargnée relativement dans son enfance et adolescence, comment fonctionnent de tels processus d'anéantissement de l'enfant et de sa personnalité fragile et tendre. Seule l'analyse objective peut éclairer ces cas mais l'emploi du "Je"et du contexte familial omniprésents en font un drame intime et bouleversant , inoubliable. On ne naît pas criminel... mais on peut être façonné pour le devenir malgré soi... Livre de poche, 155 pages Première publication aux éditions Stock en 1999. ISBN:978-2-253-15111-1
Brigitte Giraud à "Littératures Métisses"
Angoulême 2010