Les asperges! quel titre accrocheur!
On pourrait s'attendre à un traité sur la culture des asperges destiné aux jardiniers amateurs ou à un livre de cuisine sur l'art de préparer le dit-légume ou encore , par dérision, une histoire sur les grandes filles maigres trop vite poussées en graine. La première de couverture propose un gros plan sur les tiges d'asparagus agitées par le vent...
Alors, est-ce un indice suffisant pour l'interprétation botanique?
Il sera effectivement question d' asperges dans ce petit roman, signé Catherine Soulard: elles sont l'obsession d'Arsène Pouillot, vieil homme bougon et rustre, convalescent, et l'ingrédient qui permettra à sa garde-malade, Ame, de l'apprivoiser. Préparer des asperges, plat favori du vieil homme, apprendre à la citadine l'art de placer les précieuses griffes permet de briser leurs réticences communes et de créer la confiance: il transmet un savoir-faire familial, elle, reçoit.
« De ma vie, personne n'avait cru bon de m'entretenir d' asperges. J'en mangeais parfois, un point c'est tout, je n'en faisais pas un plat. Le père Pouillot, lui, « était intarissable, cette plante était extraordinaire et patati et patata, il lui arrivait même d'employer des mots que je connaissais pas comme « dieuhique » par exemple. (..)Pour tout avouer, le père Pouillot me bassinait avec ses asperges, il en était cinglé .(..) ...Tout appartenait au domaine de son enfance, les asperges , c'était son vert paradis à lui. »
Ame, au prénom prédestiné, devient bientôt l'oreille qui retient et la main qui transcrit les souvenirs qu'égrène Arsène, le jeudi, pendant trois ans. Elle noircit trois cahiers sous la relecture exigeante du vieil homme. Elle habite juste à côté, dans la maison que sa marraine lui a léguée. Elle a tout quitté, son métier d'infirmière, ses responsabilités, ses collègues et amis pour venir « s'enterrer » à Mérigny dans le Berry, avec Minne , sa chatte. Elle aussi se sent seule, elle attend vaguement autre chose, perdue dans ses souvenirs et ceux de l'ancienne habitante des lieux , la fantasque Anna de Beaumont.
Le récit coule au gré des confidences, la petite histoire se mêle bien sûr à la grande, les écheveaux des vies se mêlent, la vérité si longtemps tenue secrète est mise à nu, les passions se réveillent, intactes. Petites gens, grands coeurs... Ame réapprend la vie avec Toni, le vétérinaire, Arsène en a fini avec la sienne quand tout est dit.
Le roman commençait dans les fleurs de millepertuis, dans le chatoiement sensuel de « leurs vibrations lumineuses », il se termine au pied du mur mitoyen, à l'emplacement des asperges d'Arsène.
Mon avis:
Ce livre est plein de tendresse retenue, de rudesse et de délicatesse. Fait de récits qui se croisent, l'un oral, l'autre , tout intérieur, il conduit le lecteur vers une connivence intime avec les deux protagonistes.
Les contre-points poétiques ou les considérations du jardinier, celles sur le chat, apportent de la légèreté, voire de l'humour. La vie quotidienne aussi dans ce petit village du Berry est campée avec un tendre regard critique qui fait sourire.
Un sujet grave traité avec tact et originalité. Un bon moment de lecture. Un bon scénario à la Jacques Becker.
____________________________________________
L'auteure:
Catherine Soullard est romancière et critique de cinéma. Elle est l'auteur de Bouchère(Calmann-Lévy 2006) et de Johnny(Le Rocher, 2008).
Editions Le passage, diffusion Seuil- janvier 2010- 156 pages
ISBN 978-2-84742-145-3