"Bientôt Noël" est le thème de cette semaine pour les jeudis en poésie.
Déjà les magasins ont étalé leurs mille tentations, les enfants rêvent à la fête et aux cadeaux, les plus grands essaient de croire encore au miracle de Noël...Les lumières scintillent jusque sur les façades...
Et en 1885, un jeune poète de vingt-cinq ans vient de publier le recueil de ses premiers vers sous le titre de Les Complaintes. C'est Jules Laforgue. Il suscite la curiosité puis la sympathie de lecteurs éclairés mais ne connaîtra jamais la célébrité. Il meurt de phtisie à vingt-sept ans.
En 1880, alors qu'il vit dans une misère noire, il écrit des poèmes qui retracent son quotidien, désespérant et sombre. Même Noël, le trouve railleur et désabusé.
NOËL RÉSIGNÉ
Noël !, Noël ! toujours sur mes livres, je rêve.
Que de jours ont passé depuis l'autre Noël !
Comme toute douleur au coeur de l'homme est brève.
Non, je ne pleure plus , cloches, à votre appel.
Noël !, triste Noël ! En vain la bonne chère
S'étale sous le gaz! Il pleut, le ciel est noir,
Et dans les flaques d'eau tremblent les réverbères
Que tourmente le vent, un vent de désespoir.
Dans la boue et la pluie on palpe des oranges,
Restaurants et cafés s'emplissent dans le bruit,
Qui songe à l'éternel, à l'histoire, à nos fanges?
Chacun veut se gaver et rire cette nuit!
Manger, rire, chanter, _ pourtant tout est mystère!
Dans quel but venons-nous sur ce vieux monde, et d'où?
Sommes-nous seuls? Pourquoi le Mal? Pourquoi la Terre?
Pourquoi l'éternité stupide? Pourquoi tout?
Mais non! mais non, qu'importe à la mêlée humaine?
L'illusion nous tient!_ et nous mène à son port.
Et Paris qui mourra faisant trêve à sa peine
Vers les cieux éternels braille un Noël encor.
Jules Laforgue
1860-1887
( Premiers vers) Ed. Poésie Gallimard