A quelques jours du Festival de Cannes 2012, voici le film qui a reçu en 2007 le GRAND PRIX:
LA FORÊT DE MOGARI de la réalisatrice japonaise Naomi Kawase avec Shigeki Uda et Machiko Ono.
Naomi Kawase avait déjà séduit Cannes avec Suzaku (caméra d'or en 1997) et Shara en 2003. En 2012, est sorti sur les écrans Hanezu , l'esprit des montagnes.
DVD: La Forêt de Mogari . Editeur Mk2- mai 2009- VO japonais - version française- 93'
Shigeki est un vieillard au comportement étrange qui vit au sein d'une petite maison de retraite où l'on s'efforce de se sentir vivant. Veuf inconsolable, il est habité par le deuil de sa femme Mako disparue depuis trente-trois ans.
Il ne sort guère de son mutisme et apathie dans cette ambiante tendre et aseptisée.
Mais il se sent attiré par la jeune Machiko, sa toute nouvelle aide-soignante, habitée elle aussi par la souffrance d'avoir causé involontairement la mort accidentelle de son enfant dont elle avait lâché la main.
Cette main, symboliquement, elle la tendra à Shigeki mais s'apprivoiser passera par des phases de rejet et de violence avant que la confiance ne s'établisse dans un magnifique jeu de cache-cache au coeur d'une plantation de thé aux lignes magnifiquement tracées.
Cette première échappée sera suivie d'une balade en voiture à deux. Une malencontreuse ornière contraint Machiko à laisser seul Shigeki quelques minutes: il en profite aussitôt pour fuir avec son trésor sur le dos: un sac mystérieux .
La jeune femme essaie de le rejoindre, consciente de ses responsabilités.
Une course poursuite cocasse et épuisante en forme de jeu d'enfants sous un soleil accablant ouvre la voie à une redécouverte des sensations et au plaisir de la pastèque partagée. Mais lShigeki s'enfonce dans la forêt luxuriante et sombre, vers le haut de la montagne. Cette fugue vers la forêt de Mogari constitue le deuxième volet de l'histoire et le plus passionnant, le plus riche en émotion, dans un silence seulement troublé d'abord par les bruits de la nature vierge. Seuls au monde et avec eux-mêmes, ils commencent alors la quête essentielle et les épreuves pour gagner leur salut et la paix de leur coeur.
La forêt devient à ce moment du film un personnage à part entière, labyrinthique, clos et oppressant car elle cache le ciel. La cinéaste capte des moments éphémères et métaphoriques comme la fragilité du papillon pris dans une toile et libéré par la main du vieillard ou les deux protagonistes quasi nus et enlacés près d'un petit feu après un orage infernal qui les a anéantis et glacés. Cette scène nocturne est d'une beauté et d'une intensité saisissantes.
Shigeki parvient enfin au terme de son voyage: la tombe de Mako, sa femme et partage le secret du sac avec Machiko. De simples cahiers pour chaque année de deuil et une minuscule boîte à musique qu'il confie à Machiko et dont le faible son mécanique répète la seule et courte mélodie qui scande le film. Il creuse frénétiquement la terre pendant que le bruit d'un hélicoptère à leur recherche bourdonne au-dessus d'eux. Il se couche, la joue contre le sol: maintenant, il peut dormir apaisé, heureux. Elle, elle veille sur lui et souriante, reconciliée avec la vie, elle regarde à travers les cimes le ciel devenu bleu.
Ce film est un film contemplatif , aux dialogues rares , épuré, sensible. Le silence y est la règle: il s'agit d' accompagner une quête initiatique, un rituel sacralisé pour accepter la mort, faire son deuil.
On pourrait le trouver austère, lent mais il suffit de se laisser prendre par l'extrême beauté de l'image, par ces plans-photos d'un temps arrêté sur un visage, sur des mains ou les variations de la lumière sur les feuillages ou le rouge sensuel de la pastèque...Dans ce film où la mort est toujours en toile de fond, la vie est partout, elle triomphe dans l'activité des corps, des esprits, des sensations et des émotions. La vie palpite dans la forêt, perceptible à travers de menus indices sonores et visuels. La poésie surgit à chaque instant pour sublimer une image. La nature semble animée d'un souffle propre à elle, on comprend intuitivement le rapport étroit entre la vie et la mort en étant au plus près des éléments quand ils se déchaînent ou se font accueillants.
L'utilisation du clair-obscur ainsi que les couleurs, par le jeu des contrastes, participent à la force de cette plongée méditative. Ainsi l'existence régulée, bavarde de la maison de retraite est pleine de couleurs vives, de lumière, de vert tendre mais trop superficielle, elle ne suffit pas à sauver du désespoir morbide. En revanche, les bruns et les verts sombres presque noirs, l'opacité de la nuit, en favorisant le retour à l'intérieur de soi vont permettre l'éclosion de l'espoir.
Sans doute y-a-t-il une philosophie animiste sous-jacente dans cette oeuvre mais au delà de cette portée intellectuelle, ce film est une parenthèse enthousiasmante par son esthétisme et sa profonde humanité.
J'ai profondément apprécié ce moment.
Je propose ce film au challenge Dragon 2012 (la culturesepartage.over-blog.com) proposé par Catherine.