La Couronne verte: un roman qui se lit d'une traite et laisse une étrange et durable impression.
A la fois livre d'aventure ancré dans le concret et la modernité d'un séjour mexicain au Yucatán, roman aux confins du mythe et roman initiatique, il nous entraîne dans une fiction passionnante et de plus en plus angoissante.
La poésie jaillit dés la page UN et imprime au roman sa marque.
IL N'A RIEN D'HUMAIN . C'EST UN DIEU. IL PREND LA JEUNE FILLE PAR LES ÉPAULES. SES PLUMES BRUISSENT AUTOUR D'ELLE. MAIS IL A UNE PEAU DE SERPENT FROIDE, COUPANTE, IRISÉE. IL LÈVE LE POIGNARD. ELLE N'A PAS PEUR. ELLE NE FERME PAS LES YEUX. APRÈS LE PREMIER COUP PORTÉ, ELLE N'ÉPROUVE PLUS RIEN, NI FRAYEUR, NI TRISTESSE. APRÈS LE SECOND, IL PLONGE UNE MAIN DANS SA POITRINE D'OÙ IL RETIRE UN OISEAU AU PLUMAGE BLEU-VERT LE PLUS ÉCLATANT QU'ELLE AIT JAMAIS VU; L'OISILLON VIENT DE NAÎTRE MAIS IL A TOUJOURS EXISTÉ.LE DIEU LE LAISSE PRENDRE SON ENVOL. ELLE LE REGARDE S'ÉLANCER DANS L'AZUR, ÉCOUTE SON CHANT MERVEILLEUX. IL PERD QUELQUES PLUMES VERTES QUI RETOMBENT À SES PIEDS.
Omniprésents seront le mythe du dieu-oiseau, les symboles ( les oiseaux et leurs plumes), la lumière crue , les violents contrastes (minéral-végétal- animal-humain) qui donnent sa couleur au roman.
Ce roman a effectivement quelque chose de pictural avec sa couleur verte dominante, ses rouges et roses flamboyants, ses formes géométriques et ses lignes de fuite.
Toujours entre ciel et terre , il est aussi cosmique.
Il devient philosophique ou métaphysique dans l'approche du sacré, de la mise en scène de la vie et de la mort ( intention affirmée dans les citations en exergue)
Il a enfin un aspect musical par la beauté du chant pur de Michelle, de celui des oiseaux et par la composition en contrepoint.
En effet Laura Kasiske adopte une écriture à double voix et perspective: celles des deux adolescentes amies. Michelle, de tempérament artiste, prompte à se laisser emporter par son imagination , audacieuse, passionnée et vibrante aime chanter et aimerait voler dans les airs comme un oiseau.
Anne , pragmatique, raisonneuse et plus craintive aime lire et recherche la stabilité.
Leurs voix narratives différent: le" 'je" pour Anne, le discours direct en prise avec l'extérieur et l'évènementiel; le récit à la troisième personne pour Michelle, avec intériorisation et émotivité prépondérantes.
La narration s'organise en quatre parties : autant d'étapes décisives vers une fin tragique différente pour chacune des filles et la résolution de la crise.
Au début, voyage rituel de fin d'études lycéennes.
Trois jeunes américaines Terri, Michelle et Anne rompent pour une semaine avec leurs attaches en partant pour le Mexique, les plages de Cancún. C'est leur première aventure. Alors que les estivants vivent l'ordinaire et l'insouciance de vacances au soleil, l'envie de vivre d'autres émotions et des découvertes taraude Michelle et Anne. Le site maya de Chichén Itzá exerce sur Michelle un attrait magnétique et sur un coup de tête, elles acceptent de suivre un inconnu d'âge mûr, un certain Ander, anthropologue, rencontré au bar, pour aller visiter les vestiges des temples mayas. Il sera leur initiateur.
Commence alors la seconde aventure sous le signe du dieu Quetzalcóatl, le fameux serpent à plumes doté d'une magnifique queue verte dont Ander conte la légende comme s'il s'agissait de faits avérés: Il règne sur ces terres depuis dix mille ans. Il arbore un visage différent pour chaque période de l'histoire (..) Il arrive que Quetzalcoatl soit un dieu satisfait Mais pas en ce moment.
Découverte de la jungle lors du trajet: Il y avait beaucoup d'ombre, bien sûr , mais aussi de lumière - le soleil déversant des rayons vert-tilleul entre les feuilles. Elle perçut du mouvement. Les oiseaux, leurs cris. Elle vit les fleurs aussi(...) Leur parfum , dense et charnu, embaumait jusque dans la voiture, mêlé à l'odeur des feuilles, de la rosée accrochée à la cime des arbres-des formes vertes saturées et gonflées.
Débuts de sensations enivrantes et fascinantes: la pyramide et ses terribles rituels narrés ajoutent à l'étrangeté du lieu. Escalader ces marches revenait à pénétrer dans un lieu sans naissance ni mort. (..)Là, ajouta-t-il en désignant le chapeau de la pyramide, un prêtre attendait pour les égorger. Lorsque le sang dévalait la pente, leur âme rejoignait le Serpent à plumes.
Michelle gravit la Pyramide tandis que son amie renonce. C'est un éblouissement et le sentiment de contempler la création tout entière du point de vue de son créateur, la façon dont le néant portait la terre(..) Il y avait aussi un oiseau vert qui ne fit que passer. Il perdit une plume qui tomba lentement vers elle.
A partir de cet instant (3èmepartie), les récits deviennent de plus en plus inquiétants et contrastés: pénétration dans les ténèbres souterraines de la chambre secrète, chaleur et lumière écrasantes dehors. Exaltation de l'une qui a connu comme une deuxième naissance , accablement et peur de l'autre.
Anne veut fuir loin de cette fournaise, de ces mystères oppressants, revenir à la civilisation.
Les filles repartent en voiture avec des jeunes qui disent rejoindre le Club.
La fin, je préfère ne rien en révéler sauf dire qu'il s'agit de deux autres terribles voyages et citer un très beau passage :
Elle vit des oiseaux.
Des milliers
Des millions.
Des ailes vert et argent. Qui émettaient une sorte de chant. Elles semblaient éclairées de l'intérieur. Michelle s'aperçut que la musique extraordinaire qu'elle entendait jaillissait de leurs ailes en gerbes d'étincelles - leurs plumes explosaient puis tombaient, se dissolvaient dans le noir et se muaient en notes harmonieuses.
J'avoue m'être laissé séduire et troubler par ce voyage autant terrestre qu'intime et sensoriel, voire sensuel à Chichén Itzá et par le renouvellement du mythe.
J'ai peu parlé de l' image corrompue et superficielle de la société moderne telle qu'elle apparaît dans le roman mais elle n'a rien à envier à la cruauté de la civilisation pré-colombienne.
Laura Kasischke, romancière américaine du Michigan est souvent comparée à Joyce Carol Oates pour sa critique vénéneuse de la société américaine.
La Couronne verte( titre original: FEATHERED) a été traduit par Cécile Leroy et a été édité par Christian Bourgois Editeurs en 2008.
Le livre de Poche 2010: ISBN 978-2-253-12794-9- (219 pages.)