On embrasse l'histoire de l'Orient et celle de l'Occident du début du XVIème siècle dans cette oeuvre foisonnante et érudite qui nous entraîne dans la magie de la cour du grand Moghol, au coeur des Indes et dans la Florence des Médicis.
Le lecteur écoute, fasciné autant que l'empereur, les récits d'un Mystérieux jeune homme blond, beau, éternellement vêtu d'un immense manteau de cuir d'Arlequin. C'est" Mogor dell'amore"qui a bravé mille dangers et connu mille aventures pour venir révéler les secrets de sa naissance illustre. Il se prétend descendant de la famille impériale par sa filiation avec une princesse de sang royal qui aurait choisi l'amour et la liberté et serait devenue" l'Enchanteresse de Florence".
Son étrangeté et ses dons de conteur, lorsqu'il arrive à Sikri, séduisent une des femmes du bordel, Mohini '"Le Squelette"( experte en aphrodisiaques et familière du palais) qui deviendra sa précieuse alliée et le protègera de ses dons et sortilèges. En effet, il doit se méfier de la jalousie et des complots des femmes et concubines de l'Empereur Akbar inquiètes de l'emprise qu'il a acquise auprès de celui-ci . Les fils craignent de se voir remplacés dans son coeur par celui trop rapidement devenu l'homme de confiance de leur père. Il doit continuer coûte que coûte à charmer avec l'histoire sans cesse reprise et complétée de la princesse "Qara Kôz, c'est-à-dire Yeux Noirs, en raison du pouvoir extraordinaire de son regard capable d'ensorceler tous ceux sur qui il se posait".
L'Empereur est un conquérant redoutable mais aussi un méditatif qui préfère les créations de l'imaginaire à la réalité et il tombe amoureux de cette femme légendaire d'un autre temps, à la jeunesse éternelle et au destin fabuleux qui le visite en rêve et l'entraîne dans l'extase du corps et de l'esprit. Mogor, qui se dit aussi un Vespucci, le mène à Florence, l'autre enchanteresse, fascinante cité" où l'on vit sous la voûte du ciel comme si c'était une cathédrale", où la question de l'homme a été résolue de tout temps".
Les récits de l'Inde et des luttes pour le pouvoir recoupent ceux de l'Italie de la Renaissance, la pensée orientale se heurte aux concepts idéologiques et religieux d'un Machiavel, d'un Savonarole, à l'art raffiné d'un Buenarroti. Les conquêtes territoriales indiennes trouvent leur écho dans les découvertes du Nouveau Monde par Vespucci et les autres conquérants. La réflexion se nourrit de cette confrontation constante de l'Est et de l'Ouest et montre comment s'élaborent les avances de la civilisation.
Mais le plus grand intérêt que j'ai trouvé à ma lecture provient de l'atmosphère légendaire, de l'exotisme créé par les centaines de noms indiens, par l'évocation des palais, de leur cérémonial, des moeurs si étrangères à nos habitudes occidentales et par le décalage temporel. La magie est acceptée sans difficulté, l'épopée de l'enchanteresse captive. Les interruptions du récit du conteur pour laisser place à des considérations philosophiques ou politiques sont ressenties douloureusement: on a envie de sauter des pages, d'en savoir plus et surtout, on fait comme l'Empereur, on a envie de croire à cette histoire invraisemblable tant est grande la force attractive de la beauté et de l'amour.
Salman Rushdie ressuscite une Inde mythique, sanglante et splendide et lui offre en miroir le raffinement et la terreur de la Florence des Médicis. En fait, l'osmose est aisée entre ces deux mondes également écartelés entre la recherche du raffinement artistique et culturel,l'amour et la sensualité, le goût du sang et du pouvoir.
Un livre de 400 pages qui "enchante"...et que j'ai lu pour le challenge"Bienvenue en Inde"
Roman publié en 2008 aux éditions Plon dans la collection Feux Croisés. Il existe aussi en Folio.