Pourtant guère familière de la littérature policière, j'ai lu d'une traite, ou presque , le dernier roman de Kate Atkinson, "Parti tôt, pris mon chien".
J'avoue que le titre , par son côté insolite , que la couverture avec ses arcades et la quatrième ont joué un rôle déterminant dans mon choix. Et dès les premières pages, j'ai été entraînée, baladée, devrais-je dire dans un univers à la fois glauque et tendre, autour de Leeds que chacun fuit mais où tous finissent par revenir.
Que de pistes à suivre, à abandonner, à reprendre! Des personnages hauts en couleur comme l'extraordinaire commissaire retraitée Tracy Waterhouse, responsable d'un drôle d'achat, gourmande au grand coeur sous sa carcasse épaisse. Elle est poursuivie par le non moins pittoresque détective Jackson flanqué de son petit chien "L'ambassadeur" et pistée par un autre Jackson détective en Avensis . Les autres sont des policiers à la retraite ou sur le point d'y être, des prostituées, des comédiennes de second ordre, des gens dits"bien..." aussi, des enfants comme l'énigmatique Courtney, âgée de quatre ans.
Une galerie de l'humanité souffrante s'expose dans le roman. L'éclairage de ce thriller est surtout psychologique, chaque personnage se révélant extrèmement complexe. La ville de Leeds, ses bas quartiers , ses taudis et ses maisons de maître, sa galerie marchande, sa gare, ses hôtels, ses studios d'enregistrement de feuilletons policiers populaires, la campagne environnante campent un décor jamais surchargé mais efficace pour créer l'atmosphère dramatique.
En fait, la présence récurrente des répétitions de la série télévisée "Collier" me parait une sorte de mise en abîme de ce qui se passe dans la "vraie vie" du roman: les protagonistes sont amenés à jouer un rôle , à porter un masque, une perruque qui tient mal...lIs doivent se plier à l'engrenage des situations et surtout, ils sont trop vieux pour assumer leur rôle. Ils perdent la mémoire ou veulent l'effacer. Comme pour Tilly, la vieille actrice, l'idée fixe envahit leur esprit, ils accumulent les erreurs, confondent et assimilent passé et présent...Ils ne vivent plus.
Que d'efforts et de pièges à éviter pour retrouver un semblant de vérité sur soi-même , mettre à jour le grand secret...et apprendre à vivre ou à mourir!
Au coeur de toute cette histoire, des enfants disparus et enlevés, des adultes à la recherche de leurs origines. L'intrigue est très bien menée et enchevêtre à l'envi les différentes époques ( noël1974- 1975; 2009 sur une petite semaine, jour par jour) sans souci de la chronologie. Le récit fonctionne comme une sorte de puzzle à recomposer en fonction des retours de mémoire et des pièces replacées. Le passé revient à la surface, un passé atroce qui hante la conscience des protagonistes et des témoins, poussant certains à d'autres actes atroces qui, loin d'étouffer les faits, ne font que les ressusciter avec leur cortège d'assassins et de lâches.
On est vraiment pris dans le réseau de ces intrigues multiples et l'esprit bouillonne à chercher à les déméler, d'autant plus que les points de vue narratifs varient: tous ces témoignages différents et divergents attisent l'intérêt.
Et enfin, ce qui ne gâche rien, le récit est truffé de références littéraires , en particulier, des citations de poèmes d'Emilie Dickinson, de chansons des Beatles ou autres, de La Tempête de Shakespeare ! O my God, que d'ironie tragique à ces moments ! ... De l'esprit, Kate Atkinson en a à revendre.
Roman publié en 2010. Editions De Fallois. Paris. ISBN 978-2-87706-726-3 (384 pages)